Enseignant-chercheur à l’IES Business School, Hamdi Radhoui est un spécialiste de l’innovation dans les transports. Docteur en Sciences de la gestion et titulaire d’un Master de recherche en sciences du transport et de la logistique, il a publié dans le dernier cahier de recherche du Laboratoire de l’IES un article sur le déploiement des drones de transport.
La guerre en Ukraine et en Russie se distingue des autres conflits armés contemporains par l’utilisation massive de drones d’attaque. Quel regard un chercheur porte sur cette utilisation militaire ?
Hamdi Radhoui : ” C’est la première guerre où sont déployés des drones militaires par les deux pays. Au début de la guerre, le drone a d’ailleurs eu un rôle décisif car il a permis à l’Ukraine d’offrir une résistance inattendue. Les drones turcs achetés par l’Ukraine – les TB2 – ont joué un rôle primordial dans la défense ukrainienne. Le gouvernement ukrainien avait parfaitement anticipé une attaque russe en faisant l’acquisition en amont du conflit déclenché par la Russie de ces drones turcs très performants. La Turquie fait d’ailleurs partie du Top 3 des pays possédant les meilleurs drones militaires.
Nous voyons également que les drones de combat sont massivement utilisés au Moyen-Orient à différentes fins (surveillance, contrôle, attaque, …).
” Les drones peuvent relever le défi de l’acheminement de l’aide humanitaire d’urgence”
La question de l’utilisation des drones pour le transport des marchandises revient régulièrement au coeur des débats. C’est l’un de vos sujets de recherche à l’IES Business School. Est-ce que le drone sera demain ou après-demain une solution fiable pour transporter des marchandises ?
Hamdi Radhoui : ” De mon point de vue, le premier rôle important du drone est de soutenir la logistique humanitaire. Quand les réseaux sont touchés et que modes conventionnels de transport (camions, voitures, trains…) ne peuvent pas être utilisés, les drones peuvent relever le défi de l’acheminement de médicaments, de la nourriture, des vêtements à des populations frappées par une catastrophes et coupées du monde. Le drone peut permettre de diminuer la souffrance et la mort en apportant de l’aide rapide.
La deuxième utilisation du drone concerne effectivement les entreprises qui cherchent toutes à réduire les délais de livraison. Amazon s’est fixé comme objectif de satisfaire ses clients Premium en les livrant dans les 30 minutes suivant le passage d’une commande. A l’horizon 2030, Amazon projette d’effectuer 500 millions de livraisons par drone par an en ciblant les colis de 2,5 kg maximum. Ce poids n’a pas été choisi par hasard, 85% des produits disponibles sur Amazon pèsent 2,5 kg maximum. Cet objectif est atteignable avec des drones qui pèseront environ 35 kgs et qui voleront à une hauteur entre 30 et 120 mètres.
Pourquoi les entreprises sont-elles aussi intéressées par le drone comme nouveau moyen de transport des marchandises ?
Hamdi Radhoui : ” Elles voient en le drone un potentiel important pour réduire les coûts de la logistique. Avec un drone, une entreprise réduit ses coûts de transports mais aussi ses coûts d’entrepôt et de gestion des commandes. Rapide et abordable, le drone permet de limiter les pertes causées par les retards de livraison. Les pénalités de retard pèsent lourd dans les comptes d’une entreprise.
Le camion reste le moyen de transport le plus utilisé pour le transport des marchandises. A-t-il encore de jours devant lui ?
Hamdi Radhoui : ” Le drone est complémentaire du camion. De par son mode de propulsion – l’énergie électrique – il permet à une entreprise de diminuer ses émissions polluantes. Et effet indirect, le drone permet de diminuer la congestion routière.
Est-ce que la législation française et européenne permet aujourd’hui l’utilisation de drones pour le transport de marchandises ?
Hamdi Radhoui : ” Aujourd’hui, la législation européenne applicable en France qui régit l’utilisation des drones est bâtie sur trois classes : une classe dite ‘ouverte’ qui concerne les drones de 25 kg maxi pouvant voler jusqu’à 120 m avec un pilote qui ne doit jamais perdre de vue son engin; une classe intégrant les drones qui doivent obtenir un certificat d’exploitation auprès de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) et la classe des drones certifiés, donc soumis à une autorisation avant une éventuelle utilisation dans les secteurs de l’industrie et des transports.
Quels sont les grands défis que vont devoir relever les constructeurs de drones civils ?
Hamdi Radhoui : ” Il y a d’abord des défis techniques : la capacité de charge en vol et la qualité de la batterie qui conditionne le temps de vol. Il y a ensuite des défis organisationnels. Il y a encore aujourd’hui un manque de compétences pour une bonne utilisation du drone. Et il faut aussi relever le défi de la sécurité. Car dans un monde en paix, on peut pas envisager des collisions aériennes, des chutes d’engins sur des personnes et des biens.
” L’agriculture, la construction sont déjà des secteurs qui utilisent des drones “
Quels sont les secteurs d’activités qui pourraient avoir facilement recours aux drones ?
Se faire livrer sa machine à laver par drone relève encore de l’utopie ?
Hamdi Radhoui : ” C’est d’abord une question réglementaire. La législation protège d’abord la population. Techniquement, ce serait déjà possible de recourir à un drone pour livrer ce type de produit. Mais le volet réglementaire est bien trop contraignant pour une société qui vend ce type de biens de consommation.
Quelles sont les surprises auxquelles le grand public doit s’attendre dans les années à venir ?
Hamdi Radhaoui : ” Aujourd’hui en France, il y a très peu de recherches lancées sur l’utilisation du drone. La France a pris un très grand retard dans ce domaine par rapport à la Chine ou les Etats-Unis. Je suis l’un des rares chercheurs en France à travailler depuis plusieurs années sur le drone comme un élément de la logistique. “